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Deux modèles économiques opposés et complémentaires

26 Mai 2014 , Rédigé par Patrick Charpentier Publié dans #Savoir, #Modèles économiques

Deux modèles économiques opposés et complémentaires

Deux modèles économiques coexistent en Allemagne: d’un côté un géant du fret, opérateur historique de réseaux [21] , de l’autre, 80 entreprises ferroviaires alternatives. Parmi celles-ci, se trouvent près de 70 opérateurs locaux [22] et une dizaine d'entreprises à même de rivaliser avec DB sur des acheminements de point à point à longue distance. De fait, il n'existe pas vraiment d'opérateur de réseau alternatif à DB. Certes, il est de bonne guerre de reprocher à DB sa toute puissance, mais au fond, il n'est dans l'intérêt de personne qu'elle s'effondre. Le marché est ouvert, il se développe, et chacun y gagne sa vie. Ca marche !

En Allemagne (comme en France), l'accès aux moyens de production ferroviaire et aux savoir-faire individuels n'est plus vraiment une barrière à l’entrée. La seule barrière qui sépare encore les deux modèles économiques allemands est le mur invisible de la complexité. On ne le franchit pas aisément, ni dans un sens, ni dans l’autre.

  • On ne devient pas facilement opérateur de réseau quand on est opérateur de point à point. Les nouveaux opérateurs allemands ont pénétré le marché par des flux massifs de point à point. Puis, à la recherche de relais de croissance, ils se sont - séparément - essayés à des offres de services en réseau, tentant, à leur modeste échelle, de faire de grandes rivières avec des petits ruisseaux. Mais cette offre est restée fort embryonnaire. Persuadés qu'ils butaient seulement sur un problème de taille, les nouveaux entrants ont alors noué des alliances entre eux. Mais leur offre n’a pas mieux décollé. Pour une raison majeure: la taille, au demeurant nécessaire, n'apporte pas par elle-même une maîtrise suffisante des processus industriels mis en oeuvre. Conclusion: plusieurs entreprises de point à point réunies ne font pas pour autant une entreprise de réseau. Il en va d'ailleurs de même avec les opérateurs de proximité: leur mise en réseau contribue à, mais ne crée pas ipso facto un service ferroviaire en réseau suffisamment maillé. En réalité, tous les opérateurs alternatifs butent sur le mur de la complexité . [23]
  • A contrario, on ne devient pas opérateur de point à point quand on est opérateur de réseau, sauf à payer un coût rédhibitoire de sortie du marché, comme en témoigne la trajectoire dramatique de Fret SNCF. SNCF a longuement fustigé la complexité, elle a fait de la simplification son cheval de bataille. Elle a explicitement attribué sa complexité à sa taille, convaincue qu’une réduction de son volume d’activité, réalisée par auto-écrémage, suffirait à l'en débarrasser. Elle s'est trompée: au final, le trafic a  été divisé par trois,  le choc de simplification tant attendu n’a pas eu lieu, et le déficit est pire qu’avant. Car la SNCF de 20 Gtk encore d'aujourd'hui n’est pas moins complexe que la SNCF de 60 Gtk de 2001. Et guère moins que la le DB de 120 Gtk d'aujourd'hui.
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SNCF est maintenant placée sur la crête du mur de la complexité. Le décrochage brutal est proche.

Pour elle, l'alternative est désormais la suivante:

- soit elle rejoint le club des entreprises, dont elle envie la simplicité, qui tournent autour de 1 à 5 Gtk. Mais elle n'a aucun espoir d'y réussir tant qu’elle n'aura pas réduit drastiquement son coût du travail par employé. Dans cette hypothèse, très improbable, elle sera réduite à se livrer alors à une bataille sans merci sur le marché très étroit et concurrencé des point à point. Dans ce scenario, disparaitra avec SNCF le seul opérateur de réseau en France, et avec lui, tout effet d'entrainement sur le transport ferroviaire de fret en général.

- soit elle affronte la complexité qui, loin d'être un défaut congénital, est le seul avantage concurrentiel d'un opérateur de réseau, à condition d'être maîtrisée. Elle met alors en place un pilotage de la chaîne de la valeur par les flux, elle travaille ses métiers, elle améliore la compétitivité de chacun d’eux, elle revient à meilleure fortune, elle se développe, et elle entraine ses concurrents dans son sillage.

Car aujourd'hui, autant les concurrents de DB profitent de la force de DB, autant ceux de SNCF souffrent de la faiblesse de SNCF.

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[21] Le pluriel est employé ici à dessein. Un opérateur historique de réseaux opère en effet quatre réseaux: un réseau de flux de marchandises, un réseau de flux de wagons, un réseau de flux de convois, un réseau de flux d'étapes. Cf. Annexe 6 : Et l'économie dans tout ça? des réseaux dans les réseaux.

[22] La plupart des nouveaux opérateurs allemands sont des opérateurs locaux de convois et de traction sur courte distance (donc des Ferroviaire de Eaux, des Driver Power Services et des Driver Supply Engineering de ramassage et de distribution). Ils ne sont que rarement des opérateurs d’acheminement de wagons de bout en bout (ils ne sont pas des Venividi). Ils acheminent en effet des convois sur courte distance, entre un point de chargement ou de livraison de wagons, et un point de jonction des convois avec l’opérateur historique. Dans cette configuration, DB Schenker Rail exerce donc deux métiers:

  • d'une part organisateur de transport  sur la totalité du parcours, et en ce cas elle prend en charge les flux de wagons de bout en bout: elle est donc Venividi;
  • d'autre part convoyeur et tractionnaire sur le parcours principal  : elle est donc Ferroviaire des Eaux, Driver Power Services et Driver Supply Engineering sur ce dernier.

En Allemagne ou aux Etats-Unis, il est en effet rare que les nouveaux opérateurs soient installés dans le rôle de Venividi de bout en bout.

On peut augurer que les OFP français (Opérateurs Fret de Proximité) se caleront sur un positionnement   semblable. La multiplication des OFP, et leur mise progressive en réseau, au demeurant toutes deux utiles, ne suffiront pas à (re)créer un "service de transport en réseau". L'addition de petits opérateurs ne fait pas un opérateur de réseau.

[23]  A sa manière DB en a fait l’expérience. Pour s'assurer de l'accès au gigantesque port de Rotterdam, dans les années 90, DB a acquis NS Cargo, l’entreprise historique de fret ferroviaire néerlandaise. DB ne manquait ni de taille, ni de savoir-faire. Il n’empêche que DB a mis dix ans pour intégrer pleinement NS Cargo dans son fonctionnement.

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J
les OFP se multiplient. Voir le succès de l'OFP Atlantique pour les ports de LA Rochelle et de Nantes. +33% en un an. Ou Bourgogne Fret Services (qui vient de fêter son 1000ème train entre la Bourgogne et Port Saint Louis du Rhône). Derrière il y a toujours un opérateur plus important (ECR dans un cas, Europorte dans l'autre).Ils ne font pas que du transport local.. Même si ce ne sont pour le moment que des coups ponctuels, sans liens entre eux, qu'est ce qui empêcherait que ca forme à la longue un "réseau de services"? La SNCF y va à reculons. Pourquoi?
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S
Ne pas tomber au pied du mur, on ne s'en relève plus
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J
Pourquoi pas plus d'encouragement au développement des OFP? Ils tiennent le territoire quand tout fout le camp, ils s'occupent du dernier kilomètre, ils sont très proches des chargeurs, ils mutualisent les flux, donc ils massifient. Tout ca devrait finir par prendre en masse.
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F
En plus de MLMC, version très light de lotissement SNCF pour le transport par wagon isolé, il y a quand même quelques embryons de lotissement avec ECR ou Europorte. mais c'est vrai que ca ne va pas chercher très loin.
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