Mise en responsabilité des hommes
Le geste de chaque cheminot est insuffisamment proche d'un service au client, spécifié, traçable et mesurable. De fait, le conducteur de locomotives (ou tout autre cheminot) contribue à un résultat lointain, sans rapport de cause à effet direct avec ses gestes de métier. L'appel à une culture plus orientée client n'y change pas grand' chose. Quoiqu'il soit de bon aloi de le dire, SNCF ne bute pas sur une question de culture. Il faut aussi "entrer dans le dur" des processus et des organisations, et s'interroger sur des structures plus efficaces. Les dimensions du système ferroviaire - fussent-elles limitées à Fret SNCF - sont en effet trop grandes pour être embrassées d'un seul tenant. Il est légitime d'y tracer des pointillés. Il y en a toujours eu, même au temps de l'"entreprise intégére", il y en a, et il en faut d'autres. La définition de perimètres de responsabilité ne contrevient en rien à la notion d'entreprise intégrée (sauf -ce qui n'est effectivement pas un détail- à l'usage que l'on peut en faire) . L'important est qu'ils soient praticables.
Fret SNCF a découpé son fond de commerce en cinq portefeuilles de clientèle, "verticalisés", entre lesquels les cheminots et les moyens de production ont été distribués: cinq petits Fret SNCF au lieu d'un.
On s'illusionne à coire que la chaîne de la valeur a été raccourcie ce faisant, car les processus-métiers continuent inévitablement à exister, tels quels. Ils restent masqués dans la "verticalité" de chaque unité d'affaires, tout comme ils l'étaient auparavant dans "l'horizontalité" de la structure. En cela, le geste du conducteur reste tout autant éloigné qu'avant du résultat visé pour le client chargeur. Le conducteur n'y est pour rien. La verticalisation de Fret SNCF n'a donc pas pu apporter les effets managériaux attendus.
En revanche, elle a considérablement détruit les masses critiques initiales, auxquelles ont peut seulement reprocher qu'elles étaient plus autoformées au gré des circonstances que gérées avec précision. Du haut en bas de la chaîne de la valeur, les unité d'affaires sont en effet alignées sur une segmentation par nature de marchandises. Si elle a encore du sens pour Venividi, cette segmentation n'en a aucun pour La Ferroviaire des Eaux, a fortiori pour Driver Power Services qui relèvent de toutes autres logiques que celles de la nature des marchandises. Les masses critiques utiles se constituent en effet métier par métier: la masse critique utile à Venividi n'est pas forcément identique à celle dont La Ferroviaire des Eaux a besoin. Ferroviaire des Eaux, Driver Power Services ou Driver Supply Engineering n'ont aucune raison d'être segmentés de la même façon que Venividi, etc [19] . .
En dénonçant les effets de la verticalisation de fret SNCF, il ne s'agit pas pourfendre l'idée initiale de responsabilisation des hommes autour de finalités-clients. Pour que celle-ci s'épanouisse, il n'y a pas d'autre issue que d'aligner l'organisation d'une entreprise intégrée de réseau sur ses processus-métiers naturels. Ils répondent chacun à un marché de proximité pour les cheminots qui le servent (ex: le marché des services de conduite pour les conducteurs). Disjoints, ils évitent tout effet de bord déresponsabilisant. Munis de leviers d'action propres, ils tendent d'eux-mêmes vers les masses critiques utiles. [20] .
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[19] Hors le cas particulier du transport combiné
[20] Cf.Annexe 9: Entreprises intégrées et modèles organisationnels . Moyennant certaines précautions, ces marchés-métiers peuvent être à leur tour sous-segmentés.
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