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Aversion pour le savoir

25 Septembre 2014 , Rédigé par Patrick Charpentier Publié dans #Les dirigeants, #En savoir plus

Aversion pour le savoirAversion pour le savoir

Au fond des victoires d'Alexandre,on trouve toujours Aristote

Charles de Gaulle, Vers l'armée de métier, 1937

Dans la notion de savoir-faire, on oublie parfois qu'il y a savoir et faire. Car entreprendre, c'est savoir et faire. Il n'est pourtant pas facile de s'y tenir. L'entreprise est plutôt le royaume de l'action. Sous la parure du pragmatisme et du concret, l'activisme y est récompensé. Bouger y est élevé au rang de principe vital. Réfléchir y est considéré comme le contraire d'agir, savoir y est perçu comme le contraire de faire. Il y est de bon ton de parler solution. Il y est mal vu de parler problème.  

Ce n'est pas toujours un handicap:  en régime de croisière, l'action se contente la plupart du temps de niveaux de connaissances ou de conceptualisation superficiels. Nul besoin en effet d'être architecte ou bâtisseur de talent pour tirer profit de l'édifice dans lequel on vit. En revanche, quand la structure de l'édifice elle-même est menacée,  déplacer les cloisons, sauver les meubles dans les étages ne suffit plus. Il faut descendre dans les fondations de l'édifice, là où il est inutile de se rendre en temps normal, pour comprendre sa structure, pour découvrir que l'agitation de surface ne résout rien, voire qu'elle accroit parfois les difficultés, parce qu'elle est totalement décalée par rapport aux fondations de l'édifice. Il s'agit alors de prendre en considération les murs porteurs, de les consolider, et de rebâtir dessus. Il faut du courage pour s'avouer qu'on ne les connait pas, que personne n'en possède les plans, que personne ne les a d'ailleurs sans doute jamais possédés, et qu'il faut donc les reconstituer à partir du réel.

Le chemin du renouveau est loin d'être tracé, car il touche aux fondements mêmes de la distribution des rôles dans l'organisation. Tant que l'on touche aux superstructures des métiers, que l'on sauve les meubles "dans les étages", ce à quoi pousse le système de représentation historique du fret ferroviaire, l'ordre établi est  préservé: le changement dont se réclament tant les dirigeants,s'adresse en réalité à ceux qu'ils dirigent.  Gouvernant par  l'imposition discrète et subtile de modes de représentation, il n'est guère surprenant qu'ils goûtent peu aux changements de paradigme et qu'ils résistent à leur tour aux changements quand ils concernent l'infrastructure des métiers.

Certes, il est normal qu'un nouveau système de représentation, énoncé ex abrupto, suscite l'incrédulité. Il s'impose non par son seul énoncé, mais sur un chemin qu'il faut construire, peu à peu, par des pratiques et des succès rapides. Il n'est pas moins vrai qu'aucune des avancées concrètes indispensables à son émergence n'est possible, s'il n'est porté par les cercles dirigeants, au plus haut niveau. 

D'aucuns pourraient qualifier cette approche du fret ferroviaire de structuraliste. Sans doute, y a t-il une part de vérité, en ce qu'elle cherche à identifier la structure cachée qui explique les logiques de comportements et d'idées des cheminots et de leurs dirigeants, celles qui façonnent, grandement à leur insu, leurs pratiques et raisonnements. Mais les structuralistes eux-mêmes ne manqueraient guère d'ajouter que, pour structurelles qu'elles soient, les structures elles-mêmes n'échappent pas à leur transformation par les pratiques. Il est donc plus simplement soutenu ici que les convulsions que le fret ferroviaire connait depuis 30 ans dépassent le niveau des turbulences nécessaire au passage d'une structure à une autre: elles ont engendré l'effondrement du système lui-même, sans renouveau. Sans retour à la matrice infrastructurelle originelle du fret ferroviaire, l'issue promet d'être rapidement fatale. Quant au temps de son dépassement, il reviendra plus tard.  

 

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