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Paroles de cheminots: reconstruire

18 Avril 2014 , Rédigé par Patrick Charpentier Publié dans #Paroles de cheminots, #En savoir plus

Paroles de cheminots: reconstruire
Paroles de cheminots: reconstruire

Les temps de la stupéfaction, de l'empathie et de la critique passés, venait celui de l'esquisse de solutions:

- Ces données sont nouvelles, dérangeantes certes, mais qu’en faire ?

- Je me représentais la structure des courants de trafic comme une pyramide régulière, les gros flux reposant sur des flux moyens, les flux moyens sur des petits flux. Je m'imaginais une pyramide par exemple, avec une base large et solide, et un sommet massif et imposant qui se dégage bien dans le ciel. Avec une telle silhouette, imposante et régulière, on peut faire de la chirurgie lourde. Si l'on sectionne la pyramide à la moitié, aux deux tiers ou aux trois quarts de sa hauteur, il reste encore de quoi faire une pyramide régulière. Mais voilà que la structure des courants de trafic n'a rien d'une pyramide égyptienne!

- Les très gros flux de trafics ne sont finalement que très moyens. Ensuite, ils sont très imbriqués, entre eux, et avec les autres. Leurs racines s'entremêlent sûrement avec celles des petits flux. Même les gros flux ont besoin des petits. Si l'on veut malgré tout se replier sur les 38, 100 ou 1000 plus gros flux, il faut au moins vérifier si l'on peut les isoler correctement du reste, sinon c'est un château de cartes qui s'effondre. Ils importe d'abord de comprendre comment ils sont entremêlés.

- Au fond, si on se replie sur ces très grands flux, 38, 100 ou 1000, ça ne représente quasiment plus rien en volume de trafic. Ca implique d'abandonner au moins 95% de notre fond de commerce. C'est impossible compte tenue du ticket de sortie: il est colossal, économiquement, socialement, et politiquement.

- Il ne faut donc sûrement pas aller jusqu'à cette extrémité. Un nouvel entrant s'attaque prioritairement aux plus gros flux. Pour nous, plutôt que d'abandonner 95% du trafic, il faut peut-être n'en abandonner que 50%, c'est-à-dire en gros ne conserver que le volume correspondant aux trains entiers.

- Pourquoi pas? Mais dans ce cas, il faut massifier les plus gros flux, encore plus qu'ils ne le sont naturellement! Car si l'on se replie sur les trains entiers, cela englobe encore des milliers de flux. Même s'ils prennent à un moment donné la forme de trains entiers, ils sont tous petits à la base en réalité. Conclusion: non seulement il faut massifier les wagons isolés, mais il faut aussi massifier les trains entiers! C'est une découverte!


- Savoir ce qu'il faut garder et ce qu'il faut abandonner, ca n'est pas aussi tranché que garder les trains entiers et abandonner les wagons isolés, ou encore garder les gros flux et abandonner les petits flux. Il faut sans doute plus de subtilité. Ca suppose que l'on comprenne en quoi les trafics sont liés les uns aux autres.

- Oui: en quoi ils contribuent chacun à l'équilibre de l'ensemble.

- Avant de passer la serpette dans l'arbre, il faut d'abord s'attacher à bien comprendre ce que massifier veut dire.

- Peut-être même le réapprendre si nous l'avons oublié, ou l'apprendre si nous ne l'avons jamais su?


- Le grand tout ça ne marche jamais. C'est trop complexe. Il faut nécessairement segmenter. Il faut trouver des sous-ensembles qui peuvent tourner sur eux-mêmes. Ca a le mérite d'introduire de la responsabilité et de la qualité dans le système. Mais verticaliser n'est qu'une solution parmi bien d'autres pour segmenter. Car la façon dont on peut désimbriquer les roulements de conducteurs ou de locomotives, n'est pas forcément la façon dont on doit désimbriquer les flux de wagons.

- Oui, la segmentation qui est bonne pour les conducteurs ne correspond pas automatiquement à la segmentation qui est valable pour les flux d'acheminement de wagons. Les conducteurs et les flux de trafics répondent à des logiques différentes. Et par-dessus, il y a différents niveaux de solidarité des flux.

- Il est ridicule de faire entrer à tout prix le pied dans la chaussure. Je préfère trouver la chaussure adaptée. Il vaut mieux partir de la demande des clients que des contraintes attachées aux moyens de production.


- Ceci étant, que l'on privilégie la gestion des ressources pour y conformer des trafics ou que l'on prenne le parti inverse, il faut de toute manière comprendre ce qui relie les ressources aux trafics: contraindre la demande par l'offre, ou adapter l'offre à la demande, ça fait logiquement appel au même mécanisme industriel. Il n'y a que la règle de gestion qui change! Si on ne connait pas le mécanisme, il y a peu de chance que la règle de gestion, qu'elle privilégie l'offre ou la demande, soit efficace.

- Il faut examiner en quoi les trafics se complètent les uns les autres. Peut-être que certains des 38 plus gros flux se combinent bien. Ca ne serait guère surprenant sur l'artère nord-est, qui en concentre la moitié. Mais ailleurs, ça semble peu probable compte tenu des cartes par unité d'affaires que nous venons de découvrir. Du coup, les gros trafics ont besoin des petits. En tout cas, il faut déterminer les petits trafics qui se marient bien avec les gros. Mais après tout, peut-être que certains petits trafics eux-mêmes se combinent suffisamment bien ensemble, sans avoir besoin de compléter des gros et d'être adossés à des gros trafics. Finalement, le bon équilibre des trafics, il faut le chercher sans a priori.


- Sachant qu'on ne le détermine pas une fois pour toutes! Dans l'activité Voyageurs, on retrouve tous les jours les mêmes trafics et les mêmes O-D. C'est très répétitif. Il y a bien des pointes de trafic hebdomadaires ou saisonnières, mais elles sont parfaitement prévisibles. Au contraire, dans le Fret, les jours se suivent et ne se ressemblent pas.

- Et la prédiction est difficile. Les moyennes de trafics sur lesquelles nous travaillons sont trompeuses. Les milliers de commandes de clients que nous enregistrons pour un jour donné ne sont que pour moitié semblables à celles enregistrées pour la veille. Et c'est tous les jours ainsi. De plus, on ne découvre une partie des commandes que quelques heures à l'avance. Et puis, même si le traitement de toutes ces commandes était parfait, il y a énormément d'événements perturbateurs qui ajoutent de l'instabilité à l'instabilité: incidents multiples, réengagement de services…". Idéalement, il faudrait donc concevoir le plan de transport en temps réel.

- On touche là à une difficulté majeure du mode ferroviaire, en tout cas à une difficulté sans commune mesure avec le mode routier. Les clients se découvrent en dernière minute, alors que les agents de conduite ont un planning de travail arrêté plusieurs mois, et au mieux plusieurs jours à l'avance. Quelles solutions? Encourager nos clients à programmer leurs envois? On s'y emploie depuis 50 ans. Nous avons de bons outils tarifaires pour cela. Il faut persévérer, mais ça ne suffit pas. Certes, il faut introduire de la flexibilité dans la gestion de ressources. Mais cela a des limites: ça touche objectivement à la vie des hommes, et ça se situe sur un terrain social sensible.

- De plus, ça ne résout pas tout: une locomotive ou un sillon ont aussi plein de rigidités, d'ordre purement technique, il n'y a pas que des rigidités sociales.

- Variabilité et imprévisibilité des flux de trafics contre rigidité des moyens de production, c'est comme un avion qui atterrit sur une piste en béton. Il faut mettre en place des amortisseurs. C'est un problème de gestion de production classique. C'est le propre d'un processus industriel bien maîtrisé. Sinon, c'est la non-qualité et l'explosion de notre déficit qui font office d'amortisseurs.


-

- Les combinaisons idéales de flux, il ne suffit pas de les définir une ou deux fois par an, il faut aussi les maintenir en permanence, sinon ce n'est que de l'équilibre de papier. Ce n'est pas un équilibre théorique qu'il nous faut trouver, c'est une capacité à faire vivre le plan de transport d'heure en heure, à impulser au besoin, et à contrôler toujours ses déformations. Idéalement, il faudrait pouvoir faire un plan de transport en temps réel, à partir d'un schéma de principe robuste.

- On voit passer les mêmes trains à la même heure, cela donne un sentiment d'éternel recommencement, voire de routine. Finalement, rien n'est plus faux, ce sont éventuellement les mêmes trains, mais leurs contenus sont très différents d'un jour à l'autre. Et il y a des retards, des incidents. Le système est très instable. Les plans de transport concoctés en chambre sont peu efficaces, s'ils n'absorbent pas les situations de terrain. Il faut qu'ils soient adaptables. Le diable se cache dans les détails. Il faut qu'il y ait continuité entre ce que l'on conçoit en chambre, et ce que l'on fait dans le réel, sur un territoire immense. La rétroaction doit être organisée et permanente, pour qu'à chaque micro événement nouveau, on prenne au bon niveau la décision qui participe à l'équilibre général.


-En somme, comme il n'y a pas de grandes rivières, la base de notre métier, c'est de faire des grandes rivières avec des petits ruisseaux, des petits ruisseaux qui naissent, et d'autres qui se tarissent, tous les jours. Un critère de réussite dans le métier, c'est de savoir capter les bons ruisseaux et écarter les mauvais. Savoir massifier en somme, et derrière le terme "massif", très employé pour qualifier des trafics massifs dont nous venons de découvrir qu'ils n'existent pas ou très peu, mettre en place le mécanisme industriel de massification des flux qui convient.

- Ca devrait être au panthéon de nos fondamentaux, au même titre que la ponctualité ou la sécurité.


Séminaires de cadres supérieurs SNCF, 2006-2010.

Que de richesses et de pistes foisonnantes dans ces quelques réactions sontanées !

Certes les formulations sont encore maladroites et plurielles, il faut faire le tri, consolider et structurer, mais à travers quelques thèmes, - solidariser les flux, les désimbriquer, les massifier, les stabiliser, maîtriser les processus en opérationnel, segmenter le marché, responsabiliser,….-, de bonnes questions sont déjà sur la table.

Il ne reste plus qu'à s'en saisir.

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D
20 articles, et pas une image de train de locomotive ou de cheminot. Y a un souci?
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R
Bien vu: un sillon régulier, c'est pas forcément pour un train régulier, et un train régulier, c'est pas forcément pour un trafic régulier.
Répondre
D
Les EF l'ont parfaitement compris. Les patrons de SNCF fret et de ECR l'ont d'ailleurs dit sans nuance au SITL: "il faut découpler ce que veut le chargeur de ce dont a besoin l'EF en sillon". Ca change du sempiternel "c'est la faute à RFF". Mais jusqu'à quel point savent ils le faire?
J
Evidemment puisque un même train peut acheminer des marchandises différentes tous les jours. Ca ne l' empêche pas d'être régulier. Sûr que si on veut systématiquement faire correspondre la régularité des marchandises à celle des trains et à celle des sillons, on peut mettre la clé sous la porte.