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Downsizing: amateur ou professionnel ?

25 Avril 2014 , Rédigé par Patrick Charpentier Publié dans #En savoir plus, #Downsizing

Downsizing: amateur ou professionnel ?

Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. (....) Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal encore.”

Samuel Beckett, Cap au pire (Worstward ho), 1982

Face à une espérance de gain, deux attitudes sont possibles.

  •  Le joueur amateur tente sa chance. Il mise de petites sommes, régulièrement. Puis il s'en remet au hasard. Jouant sur la totalité du spectre des gains, du scénario noir au scénario vert fluo, il a toutes les chances d'être ruiné avant de s'enrichir: Quand l'enjeu  est en apparence un gain de 2 M€, en pratique et en moyenne, il perd 1M€. Mais comme 100% des gagnants, au moins a-t-il tenté sa chance.
  • L’homme de métier n'attend pas passivement le résultat, il s'emploie à le fabriquer, c'est-à-dire à réduire la part du hasard. Il se garde bien de travailler sur un spectre de gains aussi large que l'amateur. Lucide quant à ses marges de manœuvres, il ne prétend pas écarter totalement le scénario noir, mais au moins sait-il le circonscrire. Quant au scénario vert fluo, il ne se fait aucune illusion: s'il se réalise, même pour lui, cela relève de la chance. Un professionnel ne s'en remet pas à la chance. Il joue donc sur une gamme de résultats resserrée, allant du scénario gris au scénario vert. Quand l'enjeu apparent est un gain de 2 M€, en pratique, il sait gagner 1 M€. 

Dans le monde ferroviaire, ce qui sépare l'amateur du professionnel est leur degré de compréhension et surtout leur maîtrise effective des mécanismes très complexes de solidarité économique entre les flux.

DB s'est comportée en professionnelle. De 2002 à 2003, elle a en effet procédé à une restructuration de grande ampleur de son portefeuille (plan Mora C). Elle n'a pas hésité à se séparer, avec une certaine brutalité, de pans entiers de trafics. De fait, DB est sortie de l'épisode Mora C avec un fond de commerce assaini.

SNCF a cru s'inspirer de l'exemple de DB en se lançant dans une opération semblable en 2003. Mais, ce qu'elle s'est obstinément refusée à admettre, c'est que Mora C n'a été engagé par DB qu'après une transformation en profondeur de ses grands processus industriels de création de valeur (projet de reengineering LPU puis PU, lancé discrètement par DB dès le milieu des années 90), au moment où elle pouvait enfin récolter un fruit arrivé à maturité.

Probablement de bonne foi, mais avec une grande légèreté, SNCF a fait du Mora C sans PU/LPU. Son comportement a été plus proche de l'amateurisme que du professionnalisme, non qu'elle ignorât le mécanisme de destruction ou de création de valeur dans son principe, mais que, se fiant à sa seule intuition du phénomène, elle n'ait jamais cru utile de l'objectiver, ni d'en assurer un pilotage au près. Un peu de bon sens aurait parfois permis de limiter les dégâts, mais il a également fait défaut. Au  point que SNCF a parfois frénétiquement sacrifié, sous prétexte de  rentabilité apparente négative des trafics aller, des trafics retour présentant à l'inverse une apparence de forte rentabilité, tirant l'ensemble dans un vortex suicidaire.

N'est pas cost-killer qui veut !

- […] Je disais donc cinq cent un millions…
- Millions de quoi?

Le businessman comprit qu'il n'était point d'espoir de paix:

- Millions de ces petites choses que l'on voit quelquefois dans le ciel.
- Des mouches?
- Mais non, des petites choses qui brillent.
- Des abeilles?
- Mais non. Des petites choses dorées qui font rêvasser les fainéants. Moi je suis sérieux, moi! Je n'ai pas le temps de rêvasser.
- Ah! des étoiles?
- C'est bien ça. Des étoiles.
- Et que fais-tu de cinq cents millions d'étoiles?
- Cinq cent un million six cent vingt-deux mille sept cent trente et un. Je suis sérieux, moi, je suis précis.
- Et que fais-tu de ces étoiles?
- Ce que j'en fais?
- Oui.
- Rien, je les possède […]
- Et à quoi cela te sert-il de posséder les étoiles?
- Ca me sert à être riche.
- Et à quoi cela te sert-il d'être riche?
- A acheter d'autres étoiles, si quelqu'un en trouve.
- […] Ca, c'est vrai, dit le Petit Prince. Et qu'en fais-tu?
- Je les gère. Je les compte et les recompte, dit le businessman. C'est difficile. Mais je suis un homme sérieux!

- […] Le petit prince avait sur les choses sérieuses des idées très différentes des idées des grandes personnes ».

A. de Saint-Exupéry, 1943. Dialogue entre le petit prince et le businessman

"Je suis un homme sérieux" dit le businessman

"Je suis un homme sérieux" dit le businessman

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Z
je ne crois pas que la SNCF mérite autant de reproches, mais voilà au moins une analyse, nourrie d'expérience, qui tranche sur les discours officiels. Et qui ouvre des perspectives au delà des pansements sur jambe de bois appliqués avec compassion, pour faire croire qu'on s'occupe encore du sujet.
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A
La restructuration de la DB a soulevé des tollés en Allemagne. Les clients, Les Länder, tout le monde était vent debout, mais ça a marché. Et plus discrètement, la DB n'a pas cessé de s'ajuster depuis.
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D
Toujours cette manie de se revendiquer de ce qu'a fait la DB, sans jamais aller y voir de près. C'est facile de tromper son monde dans un milieu où on peut faire dire aux chiffres ce qu'on veut, tellement c'est compliqué. C'est fou de penser que la SNCF a fait ce qu'elle a voulu sans que jamais personne n'ait vérifié ce qu'elle racontait. Je pense en particulier à l'Etat, son actionnaire. Peut être n'a t-il pas d'autres moyens que de gober ce que lui dit la SNCF. Ce qui serait inquiétant.<br /> A moins qu'il ne soit complice, au moins par passivité, d'une politique de destruction qui n'ose s'avouer. Pas aussi sûr que toi de la bonne foi des décideurs.
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