De l'ambition à l'effondrement
Le développement du transport de marchandises par le rail est une attente forte de l'opinion. Principales bénéficiaires, les entreprises réclament une offre de transport ferroviaire de fret plus performante. Même les transporteurs routiers, inquiets pour l'avenir de leur métier, se mettent parfois de la partie. A l'instar des instances européennes, le gouvernement français assure régulièrement de sa volonté d'aller dans ce sens. Il s'y est formellement engagé, fixant à l'occasion du Grenelle de l'environnement des objectifs ambitieux d'accroissement de part de marché.
En 2009, reconnaissant que la SNCF avait jusqu'à lors "manqué de détermination et de clairvoyance", le Président de la SNCF proclamait rien de moins que "La Révolution verte du fret". Il s'avançait sur un objectif chiffré.
"Ce que nous avons réussi pour les voyageurs, nous le faisons désormais pour les marchandises, [...] d'ici 8 ans, il y aura un million de camions de moins sur les routes ".
Objectif en trompe l'œil au demeurant, très loin d'un rattrapage, puisque le trafic ferroviaire fuitait alors au ryhtme annuel de l'équivalent de 800 000 chargements par camion, sans compter que la route absorbait simultanément toute la croissance du marché du transport. Mais peu importe: au moins l'engagement en faveur du Fret ferroviaire était-il net.
Est-il besoin d'attendre le rendez-vous fixé pour juger du respect de l'engagement, alors que l'hémorragie de trafic continue manifestement [2] ?
Doit-on se résoudre à entendre, une fois de plus, qu'on est seulement au creux de la vague, alors que tout démontre que l'on s'y noie?
En moins une décennie, le transport ferroviaire de marchandises de SNCF a pratiquement été divisé par trois. Clients, partenaires, citoyens, autorités publiques, cheminots, s'alarment ou se résignent.
A défaut du développement promis, d'aucuns auraient fait contre mauvaise fortune bon cœur, si cet effondrement avait au moins permis à Fret SNCF, ainsi que visé dans chacun de ses plans de redressement successifs, d'assainir ses fondamentaux économiques, avant de repartir plus fort à la conquête du marché.
Or, il n'en a rien été: annoncé en 2003 pour 2006, en 2006 pour 2009, en 2009 pour 2012, en 2010 pour 2013, en 2011 pour 2014, en 2012 pour 2015, en 2013 pour 2016, le rétablissement des comptes de Fret SNCF fuit comme l'horizon. Pire: rapporté à la tonne-kilomètre, le déficit s'est amplifié avec la chute du trafic.
Faute de progrès dans le cœur des métiers du transport ferroviaire et sans approche commune structurée, les recherches de synergies entre Fret SNCF et Geodis, au demeurant prometteuses, n'ont rien donné.
L'exfiltration des actifs de SNCF dans ses filiales a fait long feu: faute de transporteur ferroviaire performant, les locomotives et les wagons restent en garage et ne rapportent plus.
Le déficit de Fret SNCF ne se dilue plus dans les résultats de SNCF Geodis, il s'épanche sur SNCF. A force de déficits accumulés et d'investissements aventureux, 450 M€ de trésorerie ont été brûlés par SNCF chaque année depuis 10 ans pour son activité fret. La dette de Fret SNCF, proche de 4 Mds € représente désormais la moitié de celle de SNCF. Elle menace désormais les équilibres de SNCF toute entière.
____________________________
[2] Le Grenelle de l’environnement prévoyait de porter de 14% en 2006 à 25% en 2022 la part de marché des modes de transports autres que la route. Or en 2012, la part du rail est tombée sous les 10%. Elle s'élève au double en Allemagne.
_______________________________________
Commenter cet article